Même s’ils ont beaucoup voyagé depuis, Hubert Marot et sa femme Dominique, ont été définitivement marqués par un voyage de 6 mois qu’ils ont fait il y a 43 ans par voie terrestre jusqu’en Inde. Hubert Marot, photographe professionnel, en a rapporté beaucoup de belles photos mais surtout une manière de voir la photo autrement. Aujourd’hui, il réalise de nombreuses expositions, édite plusieurs ouvrages, 200 de ses photos figurent dans différents guides du routard, et un très grand nombre sont visibles sur flickr.
Qu’est-ce qui motive vos premiers voyages ?
Ma principale motivation est toujours l’amour de la photo. C’est le cas par exemple quand je pars faire le tour du Maroc avec une bande de copains en 4L en 1971. Puis, en 1972 lors d’un voyage en Turquie, je découvre dans des coffee shops d’Istanbul des affichettes laissées par des routards cherchant une voiture ou de la compagnie pour partir vers l’Asie.
C’est ce qui vous donne envie d’un très grand voyage ?
Exactement, l’idée d’une aventure lointaine s’empare progressivement de moi. Avec celle qui allait devenir ma femme, Dominique, nous sommes alors pris d’une boulimie de revues de voyages et de conférences à Connaissance du Monde salle Pleyel à Paris où les beaux reportages sur l’Afghanistan de Roland et Sabrina Michaud nous font rêver. C’est l’époque du premier Guide du Routard. On est plus attirés par la spiritualité des ashrams hindous que par les fumeries du Népal.
Et vous franchissez le pas ?
Nous décidons alors de nous lancer jusqu’en Birmanie ! Ce projet laisse notre entourage totalement sceptique. Pourtant, nous préparons ce voyage et notre itinéraire sérieusement. A l’époque nous avons tous les deux un travail, Dominique dans une banque et moi dans une maison d’édition de cartes postales. Elle démissionne de son emploi et moi je prends un congé sans solde d’un an. Je m’équipe de 7 kg de matériel photo dans une musette kaki. Les poches inférieures de nos sacs Lafuma à armatures métalliques sont bourrées de bobines Kodak protégées par du polystyrène.
Quand partez-vous et quelle route empruntez-vous ?
Nous nous lançons le 14 avril 1973 en prenant le train à la gare de l’est pour Belfort, Zurich, le Liechtenstein, l’Autriche, la Slovénie actuelle, la Bulgarie, puis Istanbul. Par la suite et la plupart du temps, nous ne voyagerons que dans les autocars locaux. L’aventure se corse vraiment à partir de Téhéran quand nous logeons dans l’hôtel Amir Kabir où se retrouvent tous les routards du monde, pour beaucoup camés à mort, puis dans la ville sainte de Meched où nous arrivons en plein ramadan.
Puis vous découvrez l’Afghanistan ?
La frontière avec l’Afghanistan est fermée. Nous ne savons pas si c’est à cause d’une visite de Brejnev ou d’une épidémie de choléra. Lorsque nous entrons enfin en Afghanistan, via Herat, nous découvrons un pays moyenâgeux avec des femmes voilées en tchadri mais des habitants curieux et charmants. Nous découvrons ensuite Kaboul dans sa vallée entourée de montagnes. C’est là qu’une rencontre nous permet de partir dans un curieux camion blanc piloté par des anglais pour les bouddhas de Bamiyan où nous posons notre petite tente au pied des statues de 53 m de haut , celles-là mêmes que les talibans ont pulvérisées en 2001. Nous découvrons aussi les lacs de Band e Amir. J’ai rarement vu des lieux aussi magnifiques.
Le passage vers l’Inde est-il facile ?
Nous empruntons la fameuse Khyber Pass, zone de trafic d’armes, vers Peshawar, puis Lahore au Pakistan. Je ne garde pas un bon souvenir de cette ville puisque nous sommes escroqués en changeant notre argent dans la rue (comme nous le serons plus tard à Delhi), puis notre hôtel est envahi de sauterelles. Heureusement nous entrons en Inde par Amritsar en découvrant le superbe temple d’or des Sikhs. Nous faisons un crochet pour monter sur les hauteurs du Cachemire dans la région de Srinagar jusqu’au lac Dhal puis à 3800 mètres d’altitude au lieu saint des hindous, Amarnath. En descendant, nous faisons un stop à Dharamsalla la ville du Dalaï-Lama.
En allant vers Delhi, nous traversons le Rajasthan, un Etat aux couleurs fabuleuses, que nous sommes retournés voir il y a deux ans avec ma femme. Nous découvrons Jaipur, Agra, le Taj Mahal, que j’ai approché en rickshaw à pédales à des heures différentes de la journée pour en observer tous les changements de teintes.
L’Inde n’a pas que des côtés fastueux ?
En effet. Pour aller en train vers Bénarès nous laissons passer plusieurs trains bondés avant de nous décider à monter dans l’un d’eux, toujours aussi surchargé. Il me faut ½ heure pour poser le 2ème pied et nous réussissons à nous réfugier dans les toilettes pour finir le voyage.
Nous vivons aussi des scènes étonnantes au Népal où nous montons pendant deux semaines à Katmandou pour nous remettre de la vie trépidante de Delhi, Katmandou ville de routards et de hippies incrustés et de pâtisseries au haschich. Je peux quand même faire un trekking et assister à un lever de soleil grandiose sur l’Everest. Je ressens la même impression sublime en redescendant sur Darjeeling avec la vue sur la chaîne majestueuse du Kangchenjunga. Mais à Calcutta, nous plongeons dans la misère du monde au propre et au figuré. En pleine mousson, nous pataugeons dans l’eau jusqu’au genou et nous nous faisons tirer par un pousse-pousse qui baigne dans l’eau jusqu’à la ceinture. Nous voyons des gens mourir au-dessus et au-dessous d’un pont en fer, le Howrah bridge, en pleine ville. C’est là que j’ai atteint ma dose maximum.
Les péripéties du retour sont-elles aussi compliquées ?
Nous faisons la même chose en sens inverse. En Afghanistan, nous restons 13 h dans un même bus dont les fenêtres sont cassées alors qu’il fait froid. Nous nous emmitouflons dans nos duvets. Je me souviens d’une image surréaliste au réveil : tous les cheveux des afghans emmitouflés dans leurs gros manteaux étaient piqués de plumes car nos duvets s’étaient crevés. En Turquie, nous prenons le bateau sur la mer Noire à Trabzon pour Istanbul. Et nous terminons par une sorte de pré-voyage de noces à Venise, un an avant notre mariage.
Qu’est-ce que ce voyage représente pour vous ?
C’est le voyage de notre vie. A notre retour on est contents de revoir les pâturages, la baguette de pain, le fromage et le vin rouge et de s’apercevoir que la France n’est pas si mal que ça. Mais on ne se remet pas si facilement d’un tel voyage, tellement le décalage est immense entre le rythme de vie des pays traversés et les trépidations de la vie parisienne. D’autant que nous sommes restés pendant six mois totalement détachés de l’actualité.
Vous avez encore voyagé par la suite ?
Il nous a fallu du temps pour tout enregistrer avant de repartir. Nous avons fait d’autres voyages, mais pas plus que la moyenne des gens et nous avons toujours du mal à nous intégrer à des voyages organisés. Nous sommes partis notamment en groupe à Cuba, en Ouzbékistan, Tunisie, Guadeloupe, Sicile, Egypte, Chine, et nous sommes partis seuls au Maroc et en Floride, dernièrement un voyage en Roumanie à la découverte des populations Roms dans la région de Craiova. J’aimerais faire des voyages assez longs pour aborder des problématiques particulières.
Qu’est-ce que votre grand voyage vous a appris ?
Il nous a ouverts sur les gens, sur les différences de races, de mentalités, de cultures, de religions. Il m’a rapproché des populations en migrations, des nomades et m’a poussé aujourd’hui à un engagement associatif comme bénévole dans le collectif RomEurope du Val Maubuée. Je me suis intéressé aux SDF, aux bulgares en périphérie parisienne, et maintenant aux roms et aux populations en errance dans la région parisienne. Ce voyage des années 1970 m’a donc amené à faire de la photo autrement. Propos recueillis par Olivier Noyer journaliste